Le Point
03/2012
Por Par Thierry Ogier
Petrobras.
La Brésilienne Graça Foster est la première femme à diriger un géant de l’or noir.
Au Brésil, les femmes s’emparent du pouvoir. Après la présidence de la République, le pétrole. Maria das Graças Silva Foster, dite « Graça », vient d’être portée à la tête du géant pétrolier Petrobras.
Incroyable trajectoire pour cette femme de 58 ans née dans une favela et qui, enfant, ramassait des chiffons et des boîtes d’aluminium dans la rue pour améliorer l’ordinaire de sa famille. Mais on a beau vanter les qualités de la nouvelle patronne de Petrobras et insister sur sa connaissance du secteur – cette ingénieure chimiste a commencé comme stagiaire à Petrobras –, personne ne s’y trompe. Sa nomination est politique. Et si elle occupe aujourd’hui le 24e étage de l’immeuble de Petrobras, avec vue imprenable sur la baie de Rio, c’est en raison de sa proximité avec la présidente du pays, Dilma Rousseff.
Même sens du perfectionnisme, même caractère trempé qui vire parfois à l’autoritarisme… « Dilma parvient peu à peu à imprimer sa marque sur pouvoir, y compris à travers Petrobras. Graça jouit de la confiance totale de Dilma », explique l’économiste Ricardo Amorim.
Dilma Rousseff place ses pions un peu partout, histoire de tourner la page de l’ère Lula. En un peu plus d’un an, elle a déjà viré huit ministres hérités de son prédécesseur.
Le poste le plus important du gouvernement, l’équivalent du Premier ministre, est désormais occupé par une femme, Gleisi Hoffmann. Et Dilma ne s’arrête pas en si bon chemin.
Elle est intervenue l’an dernier pour changer la direction de Vale, deuxième groupe minier mondial après BHP Billiton, et mettre à sa tête un dirigeant plus conciliant.
Monstre sacré. Petrobras, c’est un plus gros morceau. Avec un chiffre d’affaires de 143 milliards de dollars et des bénéfices nets de près de 20 milliards l’an dernier, c’est la plus grande entreprise d’Amérique latine. L’ancien président, José Sergio Gabrielli, était un protégé de Lula, qui avait demandé à Dilma de le garder, au moins un certain temps. Une cohabitation forcée, car cet ancien prof avait le don d’agacer Dilma Rousseff, avec qui il avoue avoir eu de franches engueulades. Depuis, ça la démangeait.
La présidente brésilienne a ainsi profité de ses dernières vacances de Noël à Bahia, la terre natale de Gabrielli, pour s’occuper de son cas. Elle y reçoit alors le gouverneur local, qui est du même parti politique qu’elle, et lui demande de prendre Gabrielli dans son équipe en lui faisant miroiter le poste de gouverneur. Dilma Rousseff, que l’on disait pas très à l’aise pour naviguer dans les eaux troubles de la politique, apprend décidément vite.
Contrairement à Lula, qui cherchait souvent à ménager la chèvre et le chou, elle ne prend pas de gants. C’est grâce à la détermination de la présidente que Graça Foster se retrouve à la tête de Petrobras.
« Petrobras est un monstre sacré, le poumon de l’économie brésilienne », explique Eduardo Bernini, spécialiste de l’énergie. Quinze ans après la fin du monopole, le pétrolier reste contrôlé (48 %) par l’Etat. A ce jour,Petrobras produit 2 millions de barils de pétrole par jour et vise la barre des 5 millions à l’horizon 2020, ce qui en ferait un gros exportateur (2,3 millions). Cette ambition repose sur l’exploitation de ses gigantesques réserves de pétrole enfouies sous la mer : une cinquantaine de milliards de barils, le plus gros potentiel offshore du monde. Mais aussi une chasse gardée. Le Brésil a ainsi voté une loi qui fait d’emblée de Petrobras l’opérateur de tous les champs pétrolifères du bassin présalifère (voir cicontre).
La participation de Petrobras dans ces champs sera d’au moins 30 %, même s’ils sont découverts par des concurrents.
De quoi mettre au goût du jour le vieux slogan nationaliste des années 50 : « Le pétrole est à nous.
!Tête de mort!
Le pays tout entier compte sur Petrobras pour devenir une grande puissance économique. La compagnie a lancé un gigantesque programme d’investissements (225 milliards de dollars d’ici à 2015). Voilà où Graça Foster a mis les pieds. Dans le petit milieu du pétrole, elle est déjà surnommée la « Dilma de Petrobras » ou encore le « clone de Dilma ».
Les deux dames de fer sont spécialistes de l’énergie. Elles se connaissent depuis une quinzaine d’années. Le courant est passé très vite entre elles. Dilma a rapidement pris Graça sous son aile. D’abord au ministère des Mines et de l’Energie, sous le gouvernement Lula, puis en la plaçant à Petrobras, où Graça Foster devient directrice du gaz et de l’énergie il y a cinq ans. Pour soutenir la candidature à la présidentielle de Dilma Rousseff, Graça Foster est entrée en politique, rejoignant le mouvement Femmes avec Dilma.
Au siège de Petrobras, la promotion de Graça Foster fait frémir nombre de ses 80 000 employés. Ses accès de rage y sont légendaires. Elle y est affublée de surnoms peu flatteurs. Le plus en vogue est Caveirão (Tête de mort), du nom du blindé de la troupe de choc de Rio utilisé lors des opérations coup de poing dans les favelas. Mais certains dirigeants brésiliens concèdent que, pour se faire respecter dans un univers encore très macho, il faut parfois savoir durcir le ton. « Graça a un sale caractère, mais c’est monnaie courante. Quand une femme assume une position de commandement, elle doit s’imposer pour surmonter les préjugés », affirme un ancien patron du secteur de l’énergie. Le Brésil va devoir s’habituer aux femmes à poigne.